Bertolt Brecht / Heiner Müller La Résistible Ascension d’Arturo Ui

[Théâtre]

En écrivant La Résistible Ascension d’Arturo Ui en pleine montée du nazisme alors qu’il vit lui-même en exil aux États-Unis, Bertolt Brecht s’attaque bien sûr à Hitler. Il a vu le film de Chaplin, Le Dictateur, et à son tour, il utilise l’arme du rire pour dresser un portrait du tyran en bête féroce.
Soit la montée en puissance d’un gangster sans scrupule et pratiquement illettré qui par son alliance avec le trust du chou-fleur instaure un règne de terreur dans la ville de Chicago. Quand il met en scène la pièce en 1995 avec Martin Wuttke (acteur emblématique du Berliner Ensemble qu’on retrouvera également lors de cette édition dans Artaud se souvient d’Hitler et du Romanische Café) dans le rôle d’Arturo Ui, c’est précisément de cette violence sarcastique dont Heiner Müller, disparu en 1995, souhaite rendre compte. Müller l’a souvent répété, ce qui l’intéresse avant tout dans l’œuvre de Brecht, c’est ce qu’il appelle « la ligne gothique ».
Seize ans après sa création à Berlin, cette mise en scène frappe par la justesse de sa démonstration face à la tentation de céder aux sirènes d’une extrême droite en voie de « normalisation ». Soulignant comment l’idéologie fasciste a su enrôler l’image au service de sa propagande pour envahir les consciences jusqu’à les déformer, le corps de l’acteur devient à la fois signe et parodie quand il se transforme en swastika. Qu’un tyran soit aussi un bandit minable, un malade bourré de tics, un psychopathe, rappelle aussi comment le pouvoir entretient parfois des liens étroits avec le monde de la pègre. Hitler, ridiculisé sous les traits d’Arturo Ui, devient à travers l’interprétation de Martin Wuttke une bête dangereuse prête à toutes les monstruosités.