Jonas Mekas / José Luis Guerin Cinéastes en correspondance

[Cinéma]

 

L’un, Jonas Mekas, est né au cinéma en même temps qu’à l’exil, rescapé d’une Europe où il n’avait plus de place. Arrivé aux États-Unis avec son frère Adolfas en 1949, après avoir fui la Lituanie devant les nazis, après avoir connu les travaux forcés et les camps de déplacés, après avoir vu tomber le rideau de fer, il découvre le New York de la 
Beat Generation et sa scène artistique en pleine effervescence.
Avec quelques sous, il achète une Bolex 16 mm qui ne le quittera plus. Il filme son quotidien, des moments de sa vie et de celle de ses amis et proches, Brakhage, Anger, Smith, Markopoulos, Maciunas, Warhol, Ginsberg, le Velvet, Lennon et Yoko Ono, Dali…
En même temps que son journal, il tient les heurs de l’avant-garde new-yorkaise, dont il est le défenseur passionné dans les colonnes de Film Culture et du Village Voice, comme le promoteur et l’archiviste à travers la Film-makers’Coop et l’Anthology Film Archives qu’il a cofondées.
Passé à la vidéo à la fin des années 1980, s’essayant aux installations avec le nouveau millénaire, Jonas Mekas, jeune homme de bientôt quatre-vingt-dix ans, n’a cessé depuis de filmer le présent, toujours vigilant, disponible, prêt à capter ces instants de grâce qui tremblent dans ses images, à la fois très proches, absolument contemporaines, et immédiatement nimbées de la douce mélancolie du souvenir.
L’autre, José Luis Guerin, né en Catalogne, a grandi avec le cinéma qu’il a fréquenté et pratiqué dès son adolescence, au milieu des années 1970. Ses films, documentaires et fictions, mettent en scène des lieux pris dans le temps, traversés et transformés par lui : le village irlandais où Ford a tourné L’Homme tranquille dans Innisfree, un quartier de Barcelone en pleine mutation dans En construcción, une villa normande où un drame se serait noué quatre-vingt ans plus tôt dont témoigneraient des films de famille dans Le Spectre du Thuit, les rues de Strasbourg à la recherche d’une femme ressurgie du passé pour hanter Dans la ville de Sylvia, la pauvreté globalisée au fil des pérégrinations du cinéaste de festival en festival dans Guest, sa rue à Barcelone témoin d’une tragédie récente dans Recuerdos de una mañana
Qui s’étonnera que Jonas Mekas et José Luis Guerin, enfants des Lumière, opérateurs infatigables de leurs lieux, de leur temps et de leurs habitants, aient échangé une correspondance filmée ? Celle-ci, une installation vidéo constituée de neuf lettres, cœur de la  rencontre entre les deux cinéastes, est proposée par le Centre Pompidou parallèlement à la programmation de l’intégralité de leurs films, en leur présence.