Luc Bondy Les Chaises

d’Eugène Ionesco

[Théâtre]

Ce sont deux « vieux » : personnages usés, hantés par leurs souvenir, vivant dans la ritournelle répétitive du passé. Comme une dernière lueur, le vieil homme se rattache au message universel qu’il souhaite délivrer à l’humanité ; sa vieille femme l’aide à préparer l’instant de la révélation : les éminents invités vont arriver et prendre place sur les chaises préparées pour les accueillir. Cette situation sert de toile de fond à une farce tragique, où les fantômes, les songes, remplissent les interstices d’une réalité vacillante. Peu à peu, la logique des mots et des événements s’emballe, les emmenant – et nous attirant – au bord du « grand trou noir ».
Écrite en 1952, Les Chaises reste l’une des pièces les plus radicales de Ionesco : une vanité, réfléchissant les mécanismes de la représentation, et décrivant avec une ironie mordante le naufrage de la langue. Dans ce théâtre de l’extinction – tout autant que de l’absurde – toute situation parodique contient son revers nostalgique, tout jeu de mot sa part de silence. Comme en un miroir déformant, ces chaises sur lesquelles les spectateurs sont assis deviennent une présence obsédante, envahissant l’espace tandis que les corps et les mots viennent à manquer.
Chez Luc Bondy, le travail de mise en scène cherche à saisir les êtres à l’endroit de la fêlure – là où le texte résonne à l’unisson d’un désordre intérieur. On retrouve ce mouvement dans son parcours, entre la Suisse, l’Allemagne et la France, et le choix des auteurs – Botho Strauss, Jean Genet, Peter Handke ou Marivaux – dont il a mis en scène La Seconde Surprise de l’amour, en 2008 au Festival d’Automne. Avec Les chaises, il opère un retour aux sources, pour cette pièce tragi-comique qui fut une de ses premières mises en scène, en 1972.