René Pollesch Ich schau dir in die Augen, gesellschaftlicher Verblendungszusammenhang!

[Théâtre]

En la personne de René Pollesch, le Festival d’Automne et le Théâtre de Gennevilliers accueillent, pour la première fois, l’une des figures les plus atypiques et radicales du théâtre allemand. « Metteur en scène » associé à la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz dirigée, à Berlin, par Frank Castorf, René Pollesch en coordonne notamment la programmation présentée hors les murs dans le jardin du Prater. Si l’on emploie les guillemets, c’est que cet artiste n’a eu de cesse, justement, de remettre en question le rôle du metteur en scène, et de fustiger la façon dont le théâtre contemporain reproduit les structures hiérarchiques et les mécanismes de fascination du monde néolibéral. Ses textes, qu’ils s’attaquent aux structures postcoloniales des rapports Nord/Sud ou au « théâtre de la représentation », sont de brillants patchworks qui empruntent souvent aux écrits scientifiques, et en particulier aux théories de la critique sociale.
À cet égard, Ich schau dir in die Augen, gesellschaftlicher Verblendungszusammenhang! Je te regarde dans les yeux, contexte d’aveuglement social ! ») ne fait pas exception, qui se réfère à un concept cher au philosophe Adorno. Mais au-delà de la manière réjouissante dont il caricature ce « théâtre interactif » dans lequel se manifeste notre trouble et illusoire désir de « lien social », lui substituant l’appellation de « théâtre interpassif », ce « spectacle » marque un tournant dans le travail de Pollesch, exposant la face intime de la relation entre un auteur et sa muse. Ich schau dir… est en effet un monologue écrit pour le sidérant Fabian Hinrichs. Gesticulant sous une boule à facettes géante ou murmurant à la lueur d’une chandelle, passant du piano à la batterie, le comédien semble un prédicateur funambule, oscillant constamment entre le conceptuel et le pulsionnel. Si la frénésie demeure, la logorrhée ménage ici un espace inédit de relation et de réflexion, une succession d’instants fantômes invitant chaque soir le spectateur à célébrer le sacre du présent.