Théâtre du Radeau Onzième

[Théâtre]

Ceux qui ont vu les créations de François Tanguy et de son Théâtre du Radeau savent combien celles-ci, tout en demeurant essentiellement, radicalement, purement théâtrales, tiennent de la magie. Traçant sur la scène de vertigineuses perspectives, les panneaux coulissants, comme autant de cadres, leur confèrent en effet des allures de lanterne magique. Mais ces pièces tiennent également de la peinture, si l’on considère le soin mis à combiner par gestes inspirés et dans un même mouvement, autour de ces acteurs qu’elles traversent et qui les transfigurent, les différentes matières à disposition – le texte, la musique, les lumières et la scénographie. Ou encore de la composition, tant le vocable de la musique est omniprésent dans la bouche de François Tanguy. Moins ouvertement musical que les précédents – Les Cantates, Coda, Ricercar (ces deux derniers spectacles ayant été présentés au Festival d’Automne) –, le titre de cette nouvelle création l’est pourtant tout autant : Onzième fait en effet référence au onzième des seize Quatuors à cordes de Beethoven. Son sous-titre, « Serioso », est peut-être une indication quant à la tonalité de cette pièce où la gravité (les grandes tragédies totalitaires du XXe siècle) côtoie néanmoins le burlesque. Une création dans laquelle textes, théâtraux ou non, dans toutes les langues (tel dialogue de Dostoïevski ou de Witkiewicz, tel fragment de Kafka, tel monologue de Shakespeare), mêlés à la musique (de Purcell à Sibelius, de Schubert à Berio) et à ces lumières toujours sidérantes, forment une tessiture singulièrement fascinante. Une miraculeuse échappée hors du temps fictionnalisé de notre monde contemporain, mais profondément ancrée dans le réel, et le présent, par la grâce du théâtre. À nouveau, François Tanguy excelle à exalter cette « profondeur enthousiaste et légère » dont parle Jean-Paul Manganaro : « La profondeur de la beauté nécessaire, face à l’éternelle grimace de l’histoire. »