Entretien avec le metteur en scène Maxime Kurvers

Entretien avec Maxime Kurvers

Quels sont vos premiers souvenirs de théâtre ?

Si la question est de savoir quand a commencé mon intérêt pour le théâtre ou si ça a eu une quelconque importance pour moi enfant, je répondrai que non, que ça a commencé assez tard. Ceci dit, j’ai des souvenirs épars de spectacles rudimentaires, aux situations naïves, organisés dans des salles des fêtes, ou encore de danses plus ou moins folkloriques auxquelles j’ai participé enfant… Je n’avais pas pensé à ces petits spectacles de l’enfance depuis très longtemps et je les revois maintenant, dans leur simplicité et leur beauté triviale, avec affection. Il faut dire qu’ils confirment à eux seuls ce mot d’ordre énoncé par Bertolt Brecht dans sa pièce La Mère en 1931, qu’une chose simple est difficile à faire ! Evidemment Brecht parlait alors du communisme, mais on voit bien en quoi il peut s’agir d’un programme esthétique aussi bien que politique. Et le plus haut qui soit : il n’y a peut-être en réalité rien de plus à attendre de l’art !

Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de devenir metteur en scène ?

Ma pratique de spectateur, sans aucun doute. Et le travail des autres artistes, donc. Mais ce qui me gêne un peu avec votre question, c’est le caractère événementiel que vous supposez en évoquant un « déclencheur »… Car il faut surtout dire que cette envie, telle que vous la nommez, ce n’est ni un événement au cours duquel le désir, la grâce, le talent ou autres romantismes arriveraient une fois pour toute, presque magiquement, ni même quelque chose d’inaltérable. Mais je pense qu’on sera finalement tous d’accord pour se dire qu’on ne croit plus à ça, n’est-ce pas ? Alors si on n’y croit pas, il faut bien avouer que c’est pure construction, au caractère éphémère, et que ça se travaille. Et là aussi, c’est bien souvent le travail des autres, artistes, penseurs, militants, leurs inventions, leurs erreurs, le sens moral infaillible de certains d’entre eux aussi parfois, c’est tout ça qui donne du courage, laisse envisager une méthode et permet de maintenir l’envie (et dans certains cas de figure peut passagèrement la détruire aussi bien !)… Et ça me paraît par ailleurs évident que tout ce qu’on peut essayer d’inventer en art, même si c’est parfois une tentative de s’écarter de ce qui a déjà été fait, ou du moins de ce qu’on en connaît, est toujours une adresse à quelques-uns, plus ou moins consciente, à qui l’on rend hommage.

En tant que metteur en scène, quelle(s) théâtre(s) voulez-vous défendre ?

Je crois qu’il faut travailler, et de la manière la plus sincère possible, dans la croyance que le théâtre peut nous permettre de rendre la vie heureuse. Ça ne veut pas dire qu’il ait à s’échapper de son essentialité tragique (il est d’ailleurs bien impossible qu’il le fasse), ni même qu’il ait à réactiver prétendument ce qu’il a pu avoir de joyeux et de populaire, mais plutôt qu’il doive s’affronter au monde comme un bloc de positivité pure, et organiser ainsi son offensivité face à ce qui ne peut rendre la vie heureuse. Ce que je veux dire par là, c’est que le grand intérêt du théâtre d’après moi, c’est justement ce qu’il permet d’élaborer de pensées et de situations les plus expérimentales et spéculatives pour le monde d’aujourd’hui et celui à venir. Je crois qu’il peut, dans son matérialisme et son empirisme parfois les plus triviaux, prendre des mesures concrètes, qui sont celles de l’égalité, de la douceur, de la sobriété, de la paix. Et que ces mesures devraient pouvoir être prises à tous les niveaux de la production. Vous avez peut-être déjà entendu parler de cette histoire des Straub-Huillet qui avaient décidé de payer tout le monde dès le début du tournage, et non après le travail accompli… C’en est un bon exemple, je trouve. À ce propos, j’ai d’ailleurs pensé il y a quelques temps qu’il faudrait s’installer à plusieurs autour d’une table et commencer à rédiger un cahier de doléances, non-négociables, à adresser aux producteurs, aux collègues, aux spectateurs, témoignant de ces conditions qu’on jugerait suffisamment sérieuses pour que l’acte théâtral ait lieu.

En tant que spectateur, qu’attendez-vous du théâtre ?

Exactement la même chose ! Ça me paraît très problématique de séparer dans l’idée le champ de la production (le moi artiste) de celui de la réception (le moi spectateur) ! Qu’il y ait concrètement, physiquement, spatialement séparation pour qu’il y ait spectacle, pourquoi pas, ça peut se défendre… Mais dans l’idée, non ! De ce point de vue là, ma religion, si j’en ai une, c’est Rousseau et c’est Debord.

À vos yeux, quels sont les enjeux du théâtre aujourd’hui ?

« La révolution communiste, comme il en ressort clairement de la lecture même rapide de Marx, est proprement la révolution individualiste. Elle ne vise à abolir que les différences mystifiées entre les hommes. Dans la société bourgeoise où les différences entre les hommes ne sont que des différences qui ne tiennent pas à l’homme même, ce sont justement les vraies différences de qualité qui ne sont pas retenues. Le communisme ne veut pas construire une âme collective. Il veut réaliser une société où les fausses différences sont liquidées. Et une fois ces fausses différences liquidées, ouvrir toutes les possibilités aux différences vraies. Ce que dit Marx, c’est que la libération de l’individu ne peut pas être le fait de l’individu seul. Il a enseigné la nécessité de la construction collective pour atteindre à la liberté individuelle. » Elio Vittorini écrit cela en 1947, mais ça me semble être toujours un bon programme pour aujourd’hui.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

D’après moi le rôle de l’artiste, ou plutôt sa fonction, doit toujours se définir autour d’une responsabilité de pensée : c’est-à-dire que, dans un premier temps, il s’agit toujours pour lui d’avoir à transformer une idée, qu’elle soit triviale ou métaphysique, en reproduction sélective de la réalité, à travers une forme physique qui puisse être comprise et générer une réponse intellectuelle et émotionnelle. Je dis sélective, dans le sens où ça ne sert jamais à rien de faire croire qu’on peut atteindre une représentation objective du monde. Au contraire ! Il s’agit plutôt d’amener nos subjectivités à penser plus loin. Et en art comme ailleurs, je crois que c’est dans la pensée formelle que peut apparaître de nouvelles façons d’envisager et d’agencer notre monde. Il y aura toujours une infinité de possibilités inédites d’être socialement au monde, que les artistes se doivent d’expérimenter ! Pour moi, les artistes vraiment formalistes, c’est-à-dire, ceux qui ne sont pas dans la reproduction systématique de formes déjà connues mais qui prennent le risque de définir de nouvelles beautés, sont les plus politiques. Et oui, je crois que je les place avant les autres…

Comment voyez-vous la place du théâtre dans l’avenir ?

Comment voulez-vous que je réponde ?! Je ne suis même pas sûr d’arriver à envisager tout à fait sa configuration aujourd’hui… Ni même à savoir tout à fait ce que seront les spectacles que je créerai ou verrai la saison prochaine ! Peut-être que dans l’avenir on n’aura justement plus besoin de tous ces spectacles, qu’un temps viendra où l’on aura compris tout cela, pourquoi ces souffrances, il n’y aura plus de mystère : mais en attendant, il faut vivre… il faut travailler, travailler…

Propos recueillis par maculture.fr

Maxime Kurvers présente "Naissance de la tragédie"

Du 23 novembre au 5 décembre | La Commune centre dramatique national d'Aubervilliers
Réservations