Julien Gosselin - note d'intention "Joueurs | Mao II | Les Noms" de Don DeLillo

« Depuis nos tous premiers travaux, bien avant la création des Particules Elémentaires, et bien plus encore maintenant depuis le travail sur le 2666 de Roberto Bolaño, nous nous concentrons, je me concentre autour d’un nombre assez réduits de thèmes : la littérature, la violence, la façon dont un être humain est victime des mouvements souterrains que produisent l’Histoire ou la société qui l’entoure. Don DeLillo agit pour moi, pour nous, dans notre parcours, comme un catalyseur de ces thèmes, comme l’endroit d’embranchement de ces questions mais aussi comme un nouveau virage à négocier. Celui des histoires qu’il raconte, des hommes et des femmes qu’il décrit, semblant emporté par le mouvement global de l’Histoire politique mais aussi et surtout par des phénomènes inexplicables. La peur, le doute, l’ennui, l’impossibilité de l’amour : DeLillo rend à ces phénomènes vécus par tous leur part de mystère, les relie à l’Histoire, aux guerres, aux archaïsmes les plus violents et les plus purs. Il fait de l’ennui d’un couple dans Joueurs une passerelle vers la violence terroriste. Il fait de la solitude d’un homme d’affaire égaré à Athènes dans Les Noms le départ d’un questionnement gigantesque sur l’alphabet. Comme dans les bonnes biographies, qui finissent, pour expliquer tel ou tel événement de la vie d’un homme, par préférer à la logique chronologique et stupide de la raison l’acceptation pure et simple qu’il existe des vides mystérieux, DeLillo rend à l’histoire globale du Monde son mystère intime. 

Je vais ici me concentrer sur trois textes qui décrivent, chacun à leur manière, une histoire du terrorisme. Les Noms, qui raconte dans les années 1970 la recherche par un homme esseulé d’une secte violente tuant ses victimes en se basant sur l’alphabet au beau milieu d’un bassin méditerranéen en pleine crise politique. Joueurs, le passage d’un homme de l’ennui du couple à la violence pure, la lutte entre la radicalité et le libéralisme aux Etats-Unis dans les années 1980. Et enfin Mao II, qui croise le portrait d’un écrivain voulant à tout prix se cacher avec le terrorisme moyen-oriental des années 1990. 

Si vous pouviez lécher mon cœur est un collectif. L’équipe d’acteurs, de musiciens et de créateurs qui feront ce spectacle seront ceux qui étaient déjà des aventures précédentes. Nous poursuivrons ce travail cinématographique, qui paraît absolument nécessaire à la lecture des romans, tout en cherchant à résoudre au plateau une question qui nous est chère : comment ajouter à la présence du cinéma en direct la force des corps, le contact non brisé des spectateurs aux acteurs, à leurs peaux. Comment le théâtre ici pourra être une forme mouvante, puissante, rendant sa présence et sa fragilité à l’immense littérature de Don DeLillo. Comment continuer ce travail entamé sur les formats longs pourra être une étape supplémentaire de cette recherche d’un théâtre immersif, musical, poétique, qui plongera le spectateur au cœur de ce qui pourrait être une histoire absolument intime de décennies de violences politiques. » 

Julien Gosselin