6 x Noé Soulier

Depuis Le Royaume des ombres, le travail de Noé Soulier ne cesse de questionner ce qui fait danse en posant un regard analytique et sensoriel sur les multiples significations du geste. Mélangeant discours et mouvement, actions pratiques et abstraction, vocabulaire classique et contemporain, il construit une poétique de la danse par fragments : un vertige perceptif fait de correspondances, de frictions, de décalages, où parole et signes, pas et concepts s’engendrent mutuellement – réfléchissant notre manière de ressentir et d’agir sur le monde.

 

Dans le cadre du programme que vous consacre le Festival d’Automne, vous allez présenter un large corpus allant de vos premières pièces jusqu’à deux créations. Comment envisagez-vous cet ensemble qui permet de porter un regard rétrospectif sur votre travail ?
Ce qui m’enthousiasme, c’est que ce programme déploie différents modes de lecture. Tout d’abord, il se déploie dans des espaces très différents : la première création, First Memory a lieu dans une boîte noire classique, au Centre Pompidou, et l’autre, Clocks & Clouds dans la grande halle du Carreau du temple, qui n’est pas un espace scénique. Cela me donne l’opportunité de traiter une hétérogénéité de lieux, mais aussi de vocabulaires, de formes, de traditions. Le Royaume des ombres est une pièce sur la danse classique, Mouvement sur Mouvement une pièce très discursive – très performative également : il n’y a pas de scénographie, de conduite lumière, seulement une présence qui parle et agit, dépliant une réflexion sur le corps, le geste et la conscience. Par ailleurs, il y a toutes les pièces qui développent un vocabulaire chorégraphique autonome – une manière de composer, de chorégraphier qui s’appuie notamment sur des actions pratiques. C’est le cas de Faits et Gestes, mais aussi de la création, First Memory

Depuis le début dans mon travail, plusieurs lignes de recherches se développent en parallèle, qui convoquent des approches assez contrastées – mais qui se nourrissent, dialoguent entre elles. J’y vois une forme de continuité dans les problématiques conceptuelles qu’elles posent, mais aussi dans les questions esthétiques et sensorielles qu’elles soulèvent – une continuité dans l’expérience auxquelles elles donnent lieu. L’enjeu pour moi est de déployer cette diversité de lieux, d’histoires, de regards, et en même temps d’observer toutes les continuités qui s’y trament. Ce n’est pas une cohérence, au sens d’un système clos ; ce sont plutôt des liens qui se tissent – parfois de manière intuitive. Chaque projet me travaille parce qu’il m’oblige à traiter des questions que je ne comprends pas ; et la construction chorégraphique est une manière de trouver des éléments de réponse par les corps. Le dialogue entre ces différentes lignes de travail croise des courants ou des problématiques esthétiques hétérogènes. Ces courants ont une certaine historicité et cela crée au sein de ces pièces, et entre elles, des ponts inattendus ; un tissage entre des approches qui s’apparentent à la tradition clas-sique ou néo-classique, moderne, contemporaine, performative. 

 

Un fil rouge traverse ces différentes pièces : une certaine attention portée aux relations entre le discours, le geste et l’ensemble des filtres interprétatifs qui permettent de les percevoir.
Les multiples significations du geste constituent un matériau très riche ; cela peut être une action pratique qui relève de l’efficacité, une manière d’agir sur le monde. Le vocabulaire que je développe s’appuie sur des actions motivées par des buts pratiques – c’est une constante depuis le début. Mais l’action pratique est un point de départ – pas une fin en soi. Ce qui m’intéresse, c’est de greffer le vocabulaire chorégra-phique sur un vocabulaire d’actions que l’on maîtrise toutes et tous. Ces actions pratiques sont présentes dans la vie quotidienne, le sport, le règne animal. Au niveau chorégraphique, il s’agit de m’appuyer sur la richesse signifiante de l’expérience corporelle, tout en la défamiliarisant pour qu’elle devienne visible : suspendre certains de nos automatismes de lecture pour pouvoir rendre perceptible cette expérience, et l’éprouver. J’ai toujours été attiré par la richesse de ce rapport au mouvement ; mais dans mes dernières pièces une autre dimension est apparue, qui s’affirme davantage dans First Memory : lorsqu’on arrive à désamorcer le caractère d’évidence du geste, une charge affective, émotionnelle, mémorielle peut apparaître.

 

Propos recueillis par Gilles Amalvi

 

6 x Noé Soulier est présenté avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.
France Culture est partenaire de 6 x Noé Soulier