Portrait Forced Entertainment

Depuis sa formation en 1984 à Sheffield, le collectif Forced Entertainment, emmené par son directeur artistique Tim Etchells, fait figure de pionnier du théâtre contemporain. Nourri autant de pop culture que du dialogue avec les autres arts, le collectif manifeste un humour à toute épreuve et opère une critique subtile de la société du spectacle. Invité régulier du Festival d’Automne depuis 2007, le Portrait qui lui est consacré permet de redécouvrir un parcours hors norme, qui ne cesse de jouer avec les données de la performance pour mieux en réactiver la capacité d’enchantement.

Forced Entertainment a été programmé au Festival d’Automne à de nombreuses reprises durant les quinze dernières années. Que signifie pour vous le Portrait qui vous est cette année dédié ?
Tim Etchells : C’est très enthousiasmant. C’est toujours intéressant pour nous de présenter plusieurs spectacles dans un cadre unique, car cela permet au public d’apprécier la diversité de notre travail et de découvrir des pièces plus anciennes qu’il n’aura peut-être pas vues. C’est formidable d’avoir cette opportunité.

Comment les spectacles présentés ont-ils été choisis ?
Tim Etchells : Nous essayons de couvrir un large éventail de pièces, à différentes échelles, adoptant des stratégies et des dispositifs formels variés. Certains spectacles n’ont jamais été présentés à Paris, d’autres l’ont été il y a longtemps. Nous souhaitons sensibiliser le public à de nouveaux aspects de notre travail, mais aussi rejouer des pièces qui ont déjà été vues à Paris.

Quel fil conducteur peut-on tisser entre ces pièces ?
Tim Etchells : Je suppose qu’elles sont toutes fondées sur une compréhension très élémentaire de la situation théâtrale. Nous pensons au fait de partager l’espace et le temps avec le public, de réaliser devant lui une représentation en direct. Notre travail a souvent une esthétique artisanale. Il cherche à réduire la situation à quelque chose de très humain, à explorer ce que l’échange au théâtre a de fragile et de ludique. Cela se décline de différentes manières dans chacun des projets. Il y a une dimension politique à cette fragilité et à cette insistance sur l’échange en direct lors de la représentation. Un autre fil conducteur est que nous cherchons des solutions radicales à la question de ce qu’est une représentation. Dans nombre de ces œuvres, une seule idée est le moteur de toute la soirée. Il est question d’un geste unique, que nous tentons d’explorer en profondeur. Nous voulons convier les spectateurs à un voyage autour d’une proposition simple.

Les six acteurs de Forced Entertainment travaillent ensemble depuis plus de trente-cinq ans. Dans quelle mesure s’agit-il d’une création collective ?
Tim Etchells : Cela a toujours été un projet collectif et cela le demeure absolument. Il est assez unique par sa longévité. Je pense qu’il devient plus fort avec le temps. Nous détenons collectivement la propriété artistique du travail et toutes les décisions importantes sont prises ensemble. Je fais normalement la mise en scène et j’écris souvent les textes, mais même en tant que tel, mon rôle est souvent d’écouter et d’essayer d’organiser ce que propose le groupe. Du collectif naît le dynamisme et la tension qui font de notre œuvre ce qu’elle est. La manière dont nous créons des spectacles est très difficile parce que c’est une négociation sans fin. Nous tirons tous le travail dans des directions différentes, mais cela aboutit généralement à plus de clarté.

Pensez-vous que les spectacles auront d’autres résonances dans le contexte actuel ?
Tim Etchells : Étrangement, à cause de la pandémie de Covid-19, le fait de faire du théâtre tout court prendra une autre résonance en septembre. Cela fait douze mois que nous n’avons pas joué en public. Les premières représentations seront celles de Paris. Cela va donc être un immense changement pour nous. Le principe même de se rassembler pour voir un spectacle, de partager l’espace et le temps avec une foule de gens, n’aura pas la même saveur. Le monde a changé, à cause de la pandémie mais aussi d’autres bouleversements : le virage général vers la droite, le Brexit, Trump aux États-Unis ces dernières années, le mouvement Black Lives Matter l’an passé... Politiquement et socialement, nous vivons un moment important et assez électrique. Je ne doute pas que les pièces résonneront dans ce contexte très différemment et qu’elles ouvriront des questions intéressantes.

Propos recueillis par Barbara Turquier