Portrait Gisèle Vienne

Dans le cadre d’un Portrait, temps fort de la 50e édition du Festival d’Automne et témoignage d’un compagnonnage ancien, l’artiste, chorégraphe et metteuse en scène Gisèle Vienne a choisi
de présenter trois pièces de son répertoire (Kindertotenlieder, This is how you will disappear et Crowd) aux côtés de trois créations (L’Étang, Showroomdummies #4 et une performance). Pour prolonger un dialogue entre des œuvres en perpétuel mouvement.

Vous présentez six spectacles dans le Portrait que vous consacre le Festival d’Automne : qu’est-ce qui a guidé votre choix ?
Ce sont des désirs et nécessités partagés, entre les pièces que je souhaite présenter et celles que les partenaires (le Festival d’Automne et les différents lieux) ont envie de montrer. À travers les choix de ce que nous montrons, nous écrivons aussi l’histoire que nous souhaitons, passée et présente. Pour moi, la question du répertoire dans le cadre du spectacle vivant est particulièrement cruciale car ces œuvres sont une expérience du vivant et de la densité du présent. Aucune vidéo, aucun texte, aucune image ne peut rapporter l’expérience du spectacle vivant. Notre histoire s’écrit et s’efface partiellement au fur et à mesure du temps. Le spectacle vivant reste quelque chose d’organique : si on va voir Kindertotenlieder en 2021, c’est un spectacle de 2021, qui a mûri depuis sa création en 2007. Présenter des pièces plus anciennes, c’est aussi considérer que l’œuvre d’un artiste, c’est l’articulation des différentes œuvres. Ce qui est passionnant quand on peut garder un répertoire, c’est la manière dont les pièces vont dialoguer dans le temps entre elles et avec leur temps.

Avez-vous retravaillé des éléments de vos pièces les plus anciennes ?
Je les retravaille tout le temps, c’est-à-dire que je ne cesse de continuer de développer le travail, c’est l’intérêt de la tournée et de l’aspect vivant de ces œuvres. Toutes mes pièces me dépassent et je n’ai jamais fini de les comprendre et de parler avec elles, et j’espère que c’est le cas pour les spectateurs également. Cela reste une matière vivante de réflexion et d’expérience dans un contexte en mouvement, d’abord par ce qu’elles amènent et ensuite parce que le monde change. Présenter Crowd en mars 2020 ou en décembre 2021, ce n’est pas la même chose. Cette pièce est bouleversée dans sa signification par rapport au contexte. La perméabilité à la vie instaure un dialogue avec toutes ces œuvres : on peut continuer à travailler dessus aussi parce qu’on continue à les comprendre toujours davantage.

Au-delà du contexte, qu’est-ce qui nourrit le travail d’actualisation des pièces ?
Tout fait bouger les pièces, à commencer par les interprètes. Si ce sont les mêmes, ce ne sont plus les mêmes : quand Jonathan Capdevielle joue Jerk en 2008 et qu’on le tourne en 2020, Jonathan a traversé douze années. Et la pièce les traverse avec lui. Et si les interprètes changent, c’est une autre histoire qui vient avec un autre interprète. Mes œuvres sont aussi celles de mes collaborateurs, elles leur sont intimes. Comment un nouvel interprète va-t-il parler de lui et pas de l’autre interprète ? Comment vais-je l’entendre lui et ne pas rechercher le souvenir de l’autre ? Et puis je change, et ma pratique de composition à tous les niveaux, plastique, chorégraphique, musical, a énormément évolué. Ce déploiement de l’intelligence sensible me permet de développer mes connaissances. Dans ce processus, le sentiment ou l’intuition m’amène au geste artistique et à la pensée théorique. Expérience qui, je l’espère, se partage avec les artistes et les spectateurs. À travers l’histoire, notamment de la philosophie, nous voyons à quel point la connaissance sensible est dénigrée, invisibilisée, déconsidérée – alors que la connaissance se déploie à partir du corps. Lorsque j’ai étudié la philosophie, à vingt ans, j’avais clairement formulé le fait qu’il me manquait l’expérience physique de cette discipline, et que j’allais faire de l’art pour explorer les phénomènes et les questions liées à la perception. Depuis plus de vingt ans, c’est cette expérience physique de la philosophie que je recherche à travers les différentes inventions formelles. Et quand je reviens sur des sujets et des formes sur lesquels je travaillais il y a des années, mon expérience et ma réflexion m’ont déplacée, et déplacent l’œuvre. De pièce en pièce, je tente d’inventer des langues qui permettent de participer à la transformation et au déplacement de notre perception.

Propos recueillis par Vincent Théval

Le Portrait Gisèle Vienne est présenté avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.