Portrait Jérôme Bel

C’est en 2004 que débute l’histoire qui lie Jérôme Bel au Festival d’Automne à Paris, avec The show must go on 2, créé cette année-là et qui le met en scène avec le danseur Frédéric Seguette. Cette pièce met en valeur l’un des thèmes centraux du travail de Jérôme Bel : la dépendance du corps dansant envers le langage qui produit du sens indépendamment des intentions du danseur et du chorégraphe. Depuis, Jérôme Bel a été régulièrement invité par le Festival d’Automne, qui a notamment mis en ligne en 2008 un site Internet intitulé Catalogue raisonné Jérôme Bel 1994-2008 dédié à ses œuvres de la période, rassemblant plus de huit heures de films et d’interviews avec le chorégraphe.

Né en 1964 à Montpellier, Jérôme Bel s’est formé à la danse contemporaine au CNDC d’Angers pendant un an (1984-1985), avant de danser pour plusieurs compagnies. Bel a entamé sa carrière de chorégraphe en 1994 avec une pièce pour deux danseurs et onze objets : Nom donné par l’auteur objective les codes de la chorégraphie au point de réduire les deux corps humains présents sur scène à des objets. La pièce, qui explore plus les conventions de la danse qu’elle ne représente une danse en elle-même, a marqué les débuts du projet singulier de Jérôme Bel dans la danse contemporaine, considérant le corps dansant comme un produit de la culture plutôt qu’un résidu de la nature. Ses spectacles analysent les codes d’une production de danse, contrecarrant de ce fait les attentes du public et permettant une relation très intime entre les danseurs et les spectateurs.

Dans sa deuxième pièce, Jérôme Bel (1995), le chorégraphe examine le physique du danseur en plaçant deux corps nus, féminin et masculin, sur scène, des corps devenant ainsi le lieu d’inscriptions culturelles qui y laissent visiblement leurs marques. Présentée lors du Festival en 2014, cette pièce fait partie du Portrait consacré à Jérôme Bel en 2017. Suite à cela, Shirtologie (1997) porte un regard plein d’humour sur le rôle du costume dans la production de sens sur scène. Alors que ses créations précédentes évitaient de chorégraphier le mouvement, Jérôme Bel a finalement abordé en 1998 cet élément essentiel de la danse avec Le dernier spectacle. En reprenant le début du solo de la danseuse allemande Susanne Linke dans sa pièce Wandlung, il questionne le concept d’originalité du mouvement, si centrale à la danse moderne et contemporaine. En déplaçant son point de vue vers le rôle du public, la pièce The show must go on (2001) invite l’auditoire à suivre un chœur de vingt danseurs soumis aux paroles de dix-neuf chansons pop très connues, jouant exactement ce que les paroles enjoignent. The show must go on sera montrée pour la première fois cette année au Festival d’Automne, dans une distribution réunie par la Candoco Dance Company, troupe londonienne qui associe des danseurs handicapés et valides.

Le travail de Jérôme Bel peut être interprété comme un projet d’émancipation. Sa première série de pièces, de 1994 à 2004, se caractérise par son propre désir de disparaître, à la fois comme danseur et comme chorégraphe. Il transférait ces fonctions au langage et au discours, ou encore aux spectateurs à qui il était continuellement rappelé le rôle de production qu’ils ont à jouer dans la réalisation du spectacle. L’ensemble du travail de Bel s’est distingué, jusqu’à présent, par une analyse du dispositif de la danse, de ses modes opératoires, de ses structures de pouvoir et de ses processus de subjectivation. Le Festival d’Automne a privilégié les œuvres de Bel de ses deuxième et troisième périodes, qui s’intéressent à l’émancipation du danseur individuel et à celle de la danse par rapport à sa propre histoire de la représentation. Dans des productions telles que Véronique Doisneau (créée pour l’Opéra de Paris en 2004), Pichet Klunchun and myself (2005) et Cédric Andrieux (2009), qui a été présentée à trois reprises par le Festival d’Automne à Paris (2009, 2011 et 2014), Jérôme Bel confie la scène à des danseurs de grandes compagnies pour parler de leur travail et de leur relation à l’institution. Les portraits de « danseurs en paroles » par Jérôme Bel fonctionnent sur l’émancipation de ces danseurs pris comme des sujets parlant et abordant leur processus de subjugation.

Avec des productions telles que 3Abschied (2010), une collaboration avec la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker et l’ensemble de musique de chambre Ictus, qui fut montée à l’occasion de l’édition 2010 du Festival d’Automne, un nouvel élément entre en jeu : le risque. Tout comme De Keersmaeker éprouve la relation entre musique, mouvement et voix chantante, les onze acteurs et actrices déficients mentaux du Theater HORA chorégraphient, dans Disabled Theater (2012), leurs propres danses, bien qu’ils ne soient pas danseurs professionnels. Disabled Theater, qui désactive le regard des spectateurs sur le théâtre et ses formes acceptées de représentation, a été présentée lors des éditions 2012 et 2013 du Festival.

Le Portrait consacré cette année à Jérôme Bel consiste en huit spectacles et une projection. Aux côtés de Gala, Disabled Theater, Jérôme Bel et Cédric Andrieux déjà accueillies par le passé par le Festival, deux pièces historiques sont pour la première fois présentées : Pichet Klunchun and myself (le duo de Bel avec Pichet Klunchun, danseur thaïlandais formé au khon, la danse traditionnelle de masque) et The show must go on. L’occasion également de voir à l’écran Véronique Doisneau et de découvrir la dernière création de Jérôme Bel réalisée pour le Ballet de l’Opéra de Lyon et une nouvelle pièce expérimentale, Un spectacle en moins, conçue spécifiquement pour le Festival.

Gerald Siegmund, traduit de l’anglais par Johana Carrier