Portrait La Ribot

Certains portraits révèlent des métamorphoses plus qu’ils ne fixent des identités. Après l’avoir invitée à cinq reprises depuis 2004, le Festival d’Automne à Paris rend hommage à la plus conceptuelle des herbes folles à travers un parcours entre six projets hybrides qui édifie moins qu’il n’invite à explorer un paysage en constante mutation. Figure majeure de la danse plasticienne, aussi rigoureuse qu’extravagante, La Ribot a développé une œuvre en rhizome qui doit sa radicalité à sa façon de prendre l’art à sa racine, là où le corps et l’idée s’éprouvent en toute liberté. Son œuvre performative et visuelle, au croisement de la performance, de la vidéo et de l’installation live, fonctionne de fait par dérives et déviations, suivant une trajectoire vagabonde dont les formes résistent à la définition. Enfant de la Movida espagnole, La Ribot vit d’ailleurs comme elle bouge, en évitant l’inertie. Partie de son Espagne natale à la fin des années 1990 au motif qu’elle y voyait la danse stagner, elle s’est installée à Londres puis à Genève, et parcourt depuis le monde entier. Sa façon d’être toujours en mouvement se traduit dans la mise en œuvre d’un vocabulaire nerveux et saccadé, toujours exécuté avec précision, qui rythme sa critique du monde contemporain. Du geste absurde au concept fulgurant, son œuvre fait ainsi bouger les lignes pour mieux mobiliser la pensée, prenant pour seul principe de ne jamais rien tenir pour figé.
Influencée par l’histoire de la danse, du théâtre et de la performance, autant que par les arts visuels, elle a été parmi les premières chorégraphes à investir aussi franchement les musées et les galeries. En occupant ces lieux qu’elle aborde comme des espaces de pure présentation, elle procède au complet renversement des normes de la représentation scénique. La mise à l’horizontale du spectacle lui permet en ce sens de se défaire des hiérarchies qui organisent ordinairement la relation de l’interprète au public, mais aussi de mettre sur un pied d’égalité tous les éléments plastiques et dramaturgiques qui organisent ses actions. Dans ses pièces, en effet, corps, images, sons, textes et objets prennent place dans un espace indifférencié de manière à mettre en défaut les attentes et les grilles de lecture du spectateur. Emblématique de sa transdisciplinarité, le projet-signature des Pièces distinguées décline depuis le début des années 1990 un format d’œuvre organisé en pièces courtes numérotées et assemblées en série, qu’elle entend porter au nombre de cent.
Programmés dans ce Portrait, le spectacle-performance de trois heures Panoramix en réagence les trente-quatre premières pièces (1993-2000) tandis qu’Another Distinguée rassemble les huit pièces qui constituent la cinquième série (2016), deux occasions de voir cette artiste alchimiste et libre-penseuse confondre les stratégies du spectacle vivant avec celles de l’art contemporain. Offrant à cette plasticité des lieux où l’exprimer, le Festival et ses partenaires mettent à l’honneur son travail visuel au sein d’une exposition, Se Vende, en deux parties consécutives, qui présente autant le travail d’installation et de vidéo que ses cahiers d’artiste, pour la plupart montrés pour la première fois.
La danse représente enfin un point de départ plus qu’une finalité, à partir duquel elle questionne le contexte contemporain, abordé dans ses dimensions politique, sociale, intellectuelle et esthétique. Laughing Hole est à cet égard la pièce au propos politique le plus explicite, exprimant sa colère face à l’irrationnel de Guantanamo et de son traitement médiatique. Par-delà la satire, sa contribution au monde consiste à faire du corps le moyen d’une critique incarnée, pensée comme un levier d’émancipation pour les femmes et toute forme de minorité. Happy Island, réalisée en collaboration avec des danseurs en situation de handicap, est la parfaite illustration de cette ouverture à des façons alternatives de pratiquer la danse, en dehors des chemins autorisés et balisés par l’institution. Please Please Please, sa nouvelle création réalisée en collaboration avec Mathilde Monnier et Tiago Rodrigues, relève d’un même travail de sape des conventions théâtrales qui congédie de concert la tradition et la virtuosité pour laisser éclore des singularités contagieuses. Par cette indiscipline qui devient méthode, elle met à distance les référents techniques et historiques pour faire émerger une physicalité basique et vile, qui ne récuse ni la pauvreté formelle, ni l’animalité organique. Cette opération de réduction minimaliste est portée par la liberté de ton totale de La Ribot, un humour acide, au fond tragique, qui rend sa vision déconstructrice du corps joyeusement supportable.

La Ribot est artiste associée au CND Centre national de la danse.
Le Portrait La Ribot est présenté avec le soutien de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, de King’s Fountain et de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings.