Portrait Lia Rodrigues

Une constellation de voix brésiliennes : c’est ce que la chorégraphe Lia Rodrigues a voulu proposer à l’occasion d’un Portrait « collectif ». La chorégraphe, danseuse et pédagogue a inventé de nouveaux chemins pour la danse au Brésil ces trois dernières décennies. Dès 2004, elle installe sa compagnie à la favela de Maré, à Rio de Janeiro, où elle crée le Centre d’art de Maré et l’École libre de danse de Maré en partenariat avec l’association Redes de Maré. Au Festival d’Automne, des œuvres puissantes et engagées de son répertoire ainsi qu’une nouvelle création, Encantado, dialogueront avec une série d’artistes qui font, pour Lia Rodrigues, la richesse de la scène chorégraphique de son pays.

Qu’est-ce qu’un Portait au Festival d’Automne représente pour vous, dans le contexte actuel ?
L’invitation est arrivée assez tôt parce que je savais que j’allais faire une nouvelle création en 2021, avant même la pandémie. Depuis, j’ai beaucoup parlé avec Marie Collin [directrice artistique du Festival d’Automne] de ce que serait un Portrait pour moi. L’année passée, j’ai fêté les trente ans de ma compagnie, autour de l’idée de répertoire : on joue encore des pièces que l’on jouait il y a vingt ans et on devait les emmener en tournée, mais tout s’est annulé, comme pour tout le monde. Au Brésil, actuellement, tout le monde souffre énormément, avec un président fasciste et génocidaire. Ça nous a fait beaucoup réfléchir à ce que peut être un Portrait dans une situation aussi dramatique. Après tout ce qui se passe, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? J’ai été formée par d’autres personnes. Je ne serais pas là si ces gens n’avaient pas existé. Je me vois en tant que personne collective, parce qu’il y a tellement de choses qui me traversent. Pour moi, travailler et créer signifie être dans une mer en mouvement, où les vagues amènent des idées, des rencontres, des gens, se retirent ensuite, pénètrent dans le grand océan, se mêlent à tant d’autres idées de danses du passé, dans un mouvement constant. C’est faire partie d’une constellation, où le système planétaire s’équilibre, se complète, s’organise et se réorganise. Dans mon cas, cet univers s’équilibre dans un territoire concret, le Centre d’art de Maré. L’idée d’avoir un Portrait qui parle du collectif nous a donc semblé proche des valeurs que j’ai toujours défendues.

Comment votre compagnie a-t-elle traversé la pandémie ?
Je suis l’administratrice de ma compagnie, avec une collaboratrice, et je suis très prévoyante : l’argent gagné avec les tournées est investi dans la création suivante. Avec ces fonds, et l’aide de quelques institutions européennes, pendant la pandémie, j’ai payé tout le monde pendant neuf mois. Tout le monde a pu rester chez soi et faire survivre aussi sa famille parce que la situation ici est très grave et qu’il n’y a pas de travail. Il y a eu un moment où c’était un peu serré, mais je suis habituée aux incertitudes de la vie. Il n’y a aucune possibilité de comparaison entre la vie au Brésil et la vie en France ; c’est important de le comprendre. On n’a pas cette stabilité sociale, cette infrastructure, et ça fait une grande différence. Ici, il n’y a pas d’hôpitaux pour la grande majorité de la population, pas de soutien du gouvernement.
Comment avez-vous imaginé la « constellation » qui compose ce Portrait ?
Ce Portrait est comme une mosaïque, un collage d’histoires et de perspectives, qui se combinent et contrastent. Il regroupe plusieurs générations d’artistes brésiliens, dont certains ont été interprètes de mes pièces. Tous, d’une manière ou d’une autre, donnent à écouter des voix qui devraient être plus écoutées. Il faut nous ouvrir à d’autres esthétiques.
Moi, je suis une femme blanche de soixante-cinq ans, qui vit au Brésil, de classe moyenne – ça veut dire beaucoup, parce que le Brésil est un pays extrêmement inégalitaire et raciste. J’ai pu faire ce choix très tôt d’être artiste, ce qui n’est pas le cas pour la grande majorité des gens. Dans le cas de ce Portrait, c’est incroyable de voir tous les artistes qu’on a réussi à programmer, qui vont être là et en lien avec des théâtres.
L’idée était de s’écouter les uns les autres, de découvrir des possibilités de partage. C’est ainsi, je crois, que nous pouvons produire une écologie de la connaissance. Dans la philosophie Ubuntu, je suis parce que nous sommes : c’est dans cet environnement que la solidarité peut émerger et se manifester concrètement.

Propos recueillis par Laura Cappelle
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La Fondation d’entreprise Hermès s’engage auprès de celles et ceux qui apprennent, transmettent et explorent les gestes créateurs pour construire le monde d’aujourd’hui et inventer celui de demain. Elle accompagne ainsi le travail de la chorégraphe Lia Rodrigues depuis de nombreuses années, tant pour son implication en faveur de la formation et de l’éducation au sein de l’École libre de danse de Maré, qu’elle a contribué à créer à Rio de Janeiro ; que pour son travail artistique, notamment lors de la sortie de son spectacle Fúria. Aujourd’hui, la Fondation salue les 30 années d’engagement artistique et humain de Lia Rodrigues, et accompagne la réalisation du Portrait que lui consacre le Festival d’Automne à Paris. Enfin, la Fondation apporte son soutien à la publication de l’ouvrage La passion des possibles, Lia Rodrigues, 30 ans de compagnie, publié en juin 2021 aux éditions de l’Attribut. Tous les engagements de la Fondation d’entreprise Hermès sont guidés par une seule et même conviction : « Nos gestes nous créent ».