Lav Diaz Les très riches heures

[Cinéma]

Lino Brocka concédait trois films au désir de ses producteurs afin de pouvoir en faire un qui n’obéisse qu’à sa propre exigence : éveiller la conscience du public philippin à une époque où le cinéma servait l’état de stupeur voulu par la dictature. Le numérique a permis à Lav Diaz d’hériter de Brocka en se libérant d’un tel pacte. Figure majeure du cinéma contemporain, il signe depuis le début des années 2000 des films qui arrachent le cinéma aux contraintes de l’industrie, et l’individu philippin à son sort tragique.
Ce sort est emblématique de la condition postcoloniale : les Philippines ont subi trois siècles de domination espagnole, cinq décennies de tutelle américaine, une occupation japonaise et la loi martiale de Marcos, que Lav Diaz considère comme le quatrième cataclysme de l’histoire du pays. De Evolution of a Filipino Family (1994-2004) à From What is Before (grand prix du Festival de Locarno en 2014), il expose et combat l’héritage du dictateur et des colons en racontant l’agonie des provinces et leur espérance millénariste.
Nourri par les comics, les mélodrames, le rock, Dostoïevski et Tarkovski, Lav Diaz porte une attention particulière aux récits ruraux et invente à leur contact une méthode organique mariant la spontanéité à l’écriture. La longue durée notoire de ses films ne signale ni une coquetterie expérimentale ni une monumentalité mégalomane, mais la reconquête d’un temps perdu, volé par la liturgie et le productivisme de l’Occident. Ce cycle est l’occasion de découvrir un pan du cinéma contemporain largement inédit en France, rivalisant en grandeur et en beauté avec les œuvres de Wang Bing et de Pedro Costa.
Le Jeu de Paume, en partenariat avec le Festival d’Automne à Paris, présente la première rétrospective en France de Lav Diaz, ponctuée de rencontres avec le cinéaste et d’autres invités.