Milo Rau Compassion. L’histoire de la mitraillette

[Théâtre]

Le Suisse Milo Rau convoque la violence du monde sur les plateaux dans des spectacles « coups de poing ». À travers les destinées de deux femmes, l’une témoin ou l’autre victime des génocides africains, il pointe les contradictions de nos sociétés mondialisées. La compassion peut-elle avoir des frontières ?
Du procès des Ceaucescu à l’« affaire Dutroux », le réel dans son actualité la plus brûlante et la plus violente est au cœur des « spectacles » de Milo Rau et de son International Institute of Political Murder, la société de production qu’il a fondée en 2007. Aujourd’hui, alors que le destin des réfugiés met au défi la cohésion de nos sociétés et leur aptitude à l’empathie, Milo Rau confronte dans Compassion. L’histoire de la mitraillette les destins de deux femmes : la Suisse Ursina Lardi (comédienne de la troupe de la Schaubühne de Berlin) interprète une ancienne membre d’ONG témoin des massacres du Rwanda et du Congo ; la Burundaise Consolate Sipérius, elle, joue pour ainsi dire son propre rôle : celui d’une comédienne survivante du génocide, arrivée tard en Belgique. Entre immédiateté et distanciation, théâtre documentaire et mise en abyme, ce double monologue, nourri d’interviews de membres d’ONG, de prêtres et de victimes de la guerre, se déroule dans le décor d’un bureau jonché de débris, comme mis à sac : manière de figurer nos sociétés sans dessus dessous dans toute leur duplicité, leur passivité et leur pseudo humanité ? « Alors que notre économie est mondialisée, notre compassion s’arrête aux frontières de la Grèce. La mort d’un enfant aux portes de l’Europe provoque une vague d’empathie mais des milliers de morts en Afrique centrale passent inaperçus », quand bien même l’Europe néocoloniale, poursuit Milo Rau, « commence dès l’Afrique centrale ». Le théâtre selon Rau, qui fut l’élève de Pierre Bourdieu, semble n’avoir d’autre but que de nous secouer de notre torpeur face au spectacle de la misère du monde.