Programme


En famille

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Programme 2023

Pierre-Yves Macé © Christophe Berlet

Portrait Pierre-Yves Macé

Depuis votre première participation au Festival d’Automne avec Joris Lacoste en 2011 qui oscillait entre musicalisation de la parole et dramatisation, laquelle a finalement gagné ?

Je ne suis pas certain qu’un tel match ait eu lieu. La musicalisation de la parole n’a jamais été une fin en soi, mais plutôt une ressource que j’ai toujours cherché à contextualiser, dialectiser, dramatiser. Bien que passionné par la parole et sa musicalité, je me suis toujours efforcé d’éviter le piège de la speech melody littérale qui, passé les exemples historiques de Steve Reich, René Lussier et Peter Ablinger, n’a plus rien à nous dire aujourd’hui. D’autres matchs ont traversé ces années depuis le concert inaugural des Bouffes du Nord en 2012 : le fragment versus le développement, la discontinuité versus l’immersion… Mais ce ne sont que des matchs nuls, le vainqueur est toujours situé entre les deux pôles, dans un équilibre incertain qui n’appartient qu’aux œuvres. J’observe toutefois une tendance assez nette : mon rapport au temps musical s’est distendu, ce qui ouvre la voie à des formes plus longues, comme les 50 minutes de Notes pour les diapasons invisibles. En retravaillant mes pièces anciennes pour le concert « Palimpseste », je me suis rendu compte que j’ajoutais beaucoup de silences et de points d’orgue et que je ralentissais volontiers les tempi…

 

Au cours du concert monographique aux Bouffes du Nord en 2012, avec le cycle Song Recycle, la partie piano que vous jouiez semblait renforcer en dignité les chants a capella que vous aviez pris sur YouTube. Est-ce dans le même esprit ou sous d’autres enjeux que vos techniques d’écriture empruntent aussi bien à l’opéra baroque (récitatif, ornements…) qu’à la pop ?

Oui, le cycle Song Recycle partait d’enregistrements de voix a cappella piochés sur YouTube, essentiellement des chants « amateurs », appartenant à la culture pop. Aussi altérées fussent-elles, ces voix gardaient quelque chose de leur origine modeste, et sans doute que mon dispositif, avec piano, évoquant la tradition du lied, avait pour effet de renforcer en dignité ces voix. Pour autant, je n’en ferais pas un programme esthétique : il n’a jamais été dans mon intention de chercher à rendre la culture populaire plus acceptable ou plus présentable dans un cadre savant. Je m’intéresse plutôt aux chocs, aux frictions que peut créer la rencontre de matériaux ou de sonorités appartenant à des traditions hétérogènes. 

 

Dans Metaclassique #163, vous disiez vous libérer volontiers du strict tracé mélodique de la parole pour « revenir à une forme plus traditionnelle d’accompagnement ». Votre chemin vers l’opéra serait donc parti pour embrasser jusqu’au bel canto ?

Et pourquoi pas ? Il est vrai que jusqu’ici, mon écriture pour la voix a cherché à contourner les mélismes et les grandes envolées vocales propres à la tradition de l’opéra, pour explorer davantage les replis mélodiques de la parole (récitatif, sprechgesang) ou le domaine de la chanson (pop ou traditionnelle). J’ai toujours préféré ce qui est chantonné ou murmuré à ce qui est frontalement donné comme du « beau chant ». Cela étant dit, j’ai toujours veillé à ce que mes penchants ou tendances d’écriture ne se figent pas en dogmes et je me méfie de la dictature des préférences personnelles : on a vite fait de s’installer dans une routine. Les enjeux dramaturgiques de l’opéra Kind des Faust, sur un livret de Sylvain Creuzevault, m’ont amené ainsi à élargir considérablement le spectre expressif de la voix, avec des références explicites à la tradition opératique : solos virtuoses (type aria), duos ou trios… 

 

Entre un acteur qui chantonne et un chanteur qui déclame, vous n’avez pas vraiment de préférence. Vous y trouvez plutôt autant d’opportunités contrastantes ?

On trouve les deux cas de figure dans la pièce électroacoustique Ear to Ear (2022), à partir du poème The Waste Land de T.S. Eliot. Le poème est tantôt récité par des acteurs, tantôt chanté par une chanteuse, mais parfois les rôles s’inversent, de manière indolore – tout du moins je l’espère. 

 

Plusieurs de vos œuvres en cours viennent en réplique à des œuvres préexistantes. Les choisissez-vous pour leur complémentarité stylistique potentielle avec votre musique ou parce que votre sentiment d’incomplétude envers elles est déjà un stimulant ?

La plupart du temps, je mobilise non des œuvres mais plutôt des matériaux – si tant est que cette distinction fasse sens : des bribes de musique jouées dans la rue (Rumorarium), des playlists de musique d’ascenseur (Contre-flux I et II) ou encore des enregistrements de chants d’oiseaux (Notes pour les diapasons invisibles). Ces matériaux m’intéressent en tant que documents, pour la charge de réel ou de mémoire qu’ils portent et qui résiste à leur altération par le travail de la composition. Mais il est vrai que pour le projet Variations Belvédère, avec l’Instant donné, je me suis donné comme « compagnon de route » une œuvre préexistante, les Cançons i danses de Frederic Mompou. Il s’agit d’une série de diptyques pour piano mettant en regard une chanson et une musique de danse issues de la tradition catalane. Ma création ne cite pas cette œuvre à proprement parler, mais elle en reconduit le geste : je propose moi aussi un diptyque, pour un effectif plus important (ensemble instrumental avec voix), qui porte un regard plus panoramique et plus polyphonique sur le matériau-source. La référence est de l’ordre de l’hommage, je ne décèle aucune incomplétude dans la musique de Frederic Mompou. Elle a quelque chose de profondément solaire, éclatant, que j’espère approcher également, avec mon langage propre. 

 

Propos recueillis par David Christoffel, mars 2023

 

Le Portrait Pierre-Yves Macé est présenté avec le soutien de la Sacem.