György Kurtág / Heinz Holliger Hipartita / Shir Shavur...

György Kurtág / Heinz Holliger

[Musique] Ce concert propose une confrontation d’œuvres de Heinz Holliger et György Kurtág placée sous l’égide de la poésie, en l’éclairant d’une lumière noire, celle de ce « désespoir » et de ce « chagrin » mis en musique par le compositeur hongrois.
Entre 1983 et 1985, une profonde amitié unit Heinz Holliger au poète israélien David Rokeah, dont les œuvres ont été traduites par Nelly Sachs, Paul Celan et Hans Magnus Enzensberger. Le « Livre pour chœur » Shir shavur, dont on entend, pour la première fois en France, la version complète, met en musique douze poèmes que Rokeah a dédiés au compositeur suisse. Douze « chants éclatés » (la signification de Shir shavur), au fil desquels le chœur a cappella dialogue avec quatre voix solistes pour créer des strates, et des « niveaux de langues », articulant l’hébreu à l’allemand, le son au sens, constituant un « recueil du recueillement ».
C’est à la « nostalgie » (Sehnsucht), que fait appel la Hipartita pour violon solo de György Kurtág, interprétée ici par Hiromi Kikuchi, sa dédicataire (dont la première syllabe du prénom donne son titre à l’œuvre) : ce cycle de pièces de caractère dans l’esprit des Partitas de Bach, auxquelles des fragments de Rimbaud ou Héraclite servent parfois d’argument, exaltent un sentiment de courage et d’élévation, alternant avec des passages où affleurent la tourmente et l’abattement. Cette œuvre mène à la sombre cosmogonie des six astres formant l’Opus 18. Six pièces inspirées de six poètes russes qui, tous, mirent fin à leur jour. Autour du chœur, la composition de l’ensemble instrumental (où se distinguent l’harmonium et surtout le baïan, accordéon chromatique de Russie) varie de poème en poème, les résonances populaires et médiévales donnant corps à cette miraculeuse « adéquation, mot à mot, de la musique et de la poésie » qui, selon les mots de Peter
Szendy, est à l’œuvre chez Kurtág.
À cette écoute où prennent sens des sentiments fragmentés, reviennent en mémoire les vers d’un autre poète, le romantique anglais John Keats, dans son Ode à la mélancolie : « La mélancolie réside en la Beauté – la Beauté qui va mourir. »