Krystian Lupa Factory 2

[Théâtre]

Le privilège des grands maîtres est sans doute de savoir faire usage de leur liberté. Avec Factory 2 en effet, qu’il créait peu avant de se voir remettre le Prix Europe pour le théâtre, Krystian Lupa, maillon essentiel de la glorieuse lignée du théâtre polonais – héritier de Tadeusz Kantor, il a été le professeur de Krzysztof Warlikowski –, renouvelle radicalement sa manière. Certes, cette pièce-fleuve, fruit d’un long travail d’improvisation, continue d’opérer cette dilatation du temps, d’exercer cette force immersive, qui caractérisent son « théâtre de la révélation ». Mais elle le fait d’une manière inédite, en prenant appui non plus sur les grands textes européens du XXe siècle, mais sur l’une des icônes de celui-ci : Andy Warhol, et cette Factory qui, au cours des années 1960, fut le refuge et l’épicentre de la scène artistique underground new-yorkaise. En s’emparant de la figure de Warhol (comme il l’a fait depuis avec celle de Marilyn), Lupa lui donne une dimension mythique, mais il en fait surtout la matière d’une série de libres variations théâtrales questionnant les utopies des années 1960, la notion de groupe, le pouvoir des images… Sur le plateau, et sous l’œil d’une caméra, les comédiens réinventent deux journées – celles qui entourent la première du film Blow Job, en 1963 (représentant une scène de fellation hors-cadre) – de la vie de cette micro « société du spectacle ». Jusque dans les situations et les conversations les plus triviales, parfois étirées jusqu’au vertige, ils donnent corps à l’ambition de Krystian Lupa – qui a étudié le cinéma : « créer le film qu’Andy Warhol n’a jamais réalisé ».