Adoor Gopalakrishnan / Jahnu Barua North East by South West

[Cinéma]

L’unité du cinéma indien se manifeste par la quantité impressionnante de films produits, la richesse de son répertoire et la place éclatante qu’il occupe dans l’histoire du cinéma mondial. Cependant, sa présence est aussi étroitement liée aux spécificités de ses modes de création et de diffusion, tous deux redevables à l’immensité de
son territoire, la diversité et la vivacité de ses traditions culturelles, le particularisme de ses régions, la multiplicité de ses langues. De ce fait, nous avons choisi de montrer les films de deux cinéastes, ayant tous deux reçu la même formation au Film Institute de Pune, mais que séparent leur ancrage géographique et historique dans leur
État natal respectif (l’Assam au Nord-Est de l’Inde et le Kerala au Sud-Ouest) et la langue parlée dans leurs films
(l’assamais et le malayalam).

Jahnu Barua, après ses études et un passage à la télévision scolaire, est devenu un cinéaste « engagé » dans les problématiques qui mettent en lumière le lien entre le culturel et le social, au sein d’une population encore essentiellement rurale. Dans ses douze longs-métrages, ces thèmes sont mis en scène dans un style direct, très
émouvant, d’un réalisme humaniste caractéristique de la veine du cinéma indien du nord. Ils évoquent parfois l’histoire de l’Assam – le post-colonialisme dans L’Attente (1982), l’agitation étudiante au cours des élections de 1983 dans Papori (1986) – et traduisent le plus souvent le climat de situations familiales où les enfants et les
adultes sont confrontés à la corruption, la violence, la pauvreté, ainsi qu’à de nouvelles conditions de vie et au changement de leur environnement naturel ou social – La Catastrophe (1988), C’est un long chemin vers la mer (1995), L’Étincelle (1992), combat acharné d’une enseignante pour faire renaître une école de village. Dans son
dernier film, Je n’ai pas tué Gandhi (2005), le premier tourné en hindi, le cinéaste souligne l’impact de la mondialisation sur les rapports familiaux et met en scène le célèbre acteur Anupam Kher pour incarner un vieux professeur atteint d’une douloureuse maladie de dégénérescence cérébrale.
Adoor Gopalakrishnan a commencé sa carrière artistique en tant qu’acteur puis metteur en scène de théâtre. Sans doute y trouve-t-il la source d’inspiration de ses nombreux documentaires consacrés au kathakali et aux autres formes d’arts traditionnels du Kerala, comme Yakshagana (1979) ou La Danse de l’enchanteresse (2007). À
l’instar de toute son oeuvre, ses cinq derniers longs-métrages sont une fresque d’une saisissante beauté, consacrée au Kerala, où l’éclat des couleurs des paysages, la sensibilité à la lumière, l’attention aux détails, l’élégance du cadrage, la grâce de certains personnages féminins, s’impriment dans la mémoire du spectateur.
Les récits, déployés dans une rigoureuse mise en scène, sont toujours liés à l’histoire du Kerala. Ainsi, dans The Protagonist (1995), trois personnages sont prétexte à l’évocation de trois générations d’engagement politique – le gandhisme, le communisme et le maoïsme. Ses films sont aussi, à travers une mise en tension de l’individu,
un reflet de la société ; en témoignent The Servile (1994), portrait extrême de la soumission, Shadow Kill (Le Serviteur de Kali, 2003), portrait d’un bourreau qui, dans les années 1940, connaît le remords après avoir pendu un innocent, Four Women (2007), portraits types de quatre femmes (la Prostituée, la Vierge, la Ménagère, la
Célibataire) dans un village du sud de l’Inde et A Climate for Crime (2008), dernier chapitre de cette fresque, dont le souffle épique consacre le cinéaste comme l’une des figures majeures du cinéma indien.