Marcial di Fonzo Bo / Elise Vigier L'Entêtement de Rafael Spregelburd

[Théâtre]

Les lecteurs français connaissent peu, à l’heure actuelle, l’aventure littéraire dans laquelle s’est plongé, depuis 2000, le jeune auteur, acteur, metteur en scène et pédagogue argentin Rafael Spregelburd : créer, sur la base du tableau Les Sept Péchés capitaux du peintre
néerlandais Jérôme Bosch, une cartographie moderne, loufoque et érudite de la morale.
Ainsi, il aura fallu attendre la double entreprise de traduction et de mise en scène du Théâtre des Lucioles pour prendre la mesure de la langue baroque du dramaturge argentin, dopée aux références cinématographiques les plus bariolées. On comprend le pouvoir de séduction de ce gargantuesque projet sur les acteurs et metteurs en scène Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier, eux qui aiment tant les immersions durables dans l’univers d’un auteur. Après avoir redonné à Copi sa démesure flamboyante dans six projets de mises en scène différents, les Lucioles se sont donc amusées des vertigineuses démultiplications de personnages qu’autorisent La Connerie (mis en scène en 2008), La Panique ou La Paranoïa (mis en scène en 2009). L’Entêtement, dernier volet de l’« Héptalogie » de Spregelburd, s’ancre dans les derniers jours de la guerre civile espagnole, en adoptant (comme il est peu coutume de le faire) le point de vue des dirigeants fascistes. Fin mars 1939, près de Valencia, le commissaire franquiste Planc caresse le rêve d’inventer une langue neuve, qui permettrait à tous les hommes de « s’accorder ». Épopée linguistique et polyglotte (la distribution est franco-espagnole), L’Entêtement interroge ainsi le point de bascule entre une utopie humaniste et l’avènement d’une pensée totalitaire du langage et du monde.