Pascal Dusapin / John Cage / Igor Stravinsky Requiem Canticles / Seventy-Four for orchestra /La Melancholia

[Musique]

Auteur d’une Messe si brève que son collègue Eisler la qualifiait ironiquement de « messe pour hommes d’affaires pressés », Stravinsky récidive à la toute fin de sa vie avec les Requiem Canticles d’où toute répétition du texte est bannie.
Des sonorités tranchantes d’une sécheresse étincelante et un laconisme sublime anticipent sur un au-delà qui nous aveugle. John Cage semblait aux antipodes de cette musique qui propose des objets clos, parfaitement ciselés, et il mit longtemps en effet à dépasser son aversion première (« le néo-classicisme est un fléau international »), après avoir incarné en 1964 le rôle du diable dans L’Histoire du soldat.
Conçue en mars 1992, Seventy-Four sera son oeuvre ultime, et elle sonne pour nous comme une stèle funèbre. Chaque musicien joue quatorze sons, dont il détermine lui-même la durée, le mode de jeu et les fluctuations microtonales. Cage délimite des portions de temps, en rabattant le temps sur l’espace : c’était pour lui la grande leçon d’Erik Satie, et il rejoint par là Stravinsky – juxtaposer plutôt que composer, choisir la répétition plutôt que le grand développement organique. Avec Melancholia de Pascal Dusapin, c’est un retour au bercail européen : le sujet s’épanche, avec toute l’emphase de la tradition, en un feu d’artifice des citations littéraires et philosophiques, une narration qui enveloppe l’auditeur par la spatialisation du son. Trois manières de scander le temps, trois manières de dire l’éternité ou la vanité.