Romeo Castellucci Schwanengesang D744

[Théâtre]

Connaissance de la douleur, selon Schubert, de l’abandon, selon Castellucci. Récital. Curieusement distante du pianiste, la soprano est au centre de la scène. Tailleur strict, sombre. Immobilité de statue. Visage sans expression. Son chant précieux s’élève. Étrange climat d’attente. Les lieder se succèdent, dans une impassibilité totale. Pourtant, un voile d’inquiétude est passé sur ses traits figés. Son regard est lancé, éperdu, vers le « paradis » du théâtre à l’approche du huitième lied : Schwanengesang D744, Le Chant du cygne. « Combien je me lamente devant la sensation de mort, dans la dissolution qui court à travers mes membres ». Contagion, physique, du poème sur la cantatrice. Elle trébuche. Fait volte-face. S’éloigne vers le fond de scène, s’y colle, le parcourt des paumes comme un autre mur des Lamentations. Passée ailleurs, déjà. La comédienne en robe écrue, s’est glissée, de dos, là où était la cantatrice, au centre. Fondu enchaîné. Disparition de l’une, apparition de l’autre. Comme si elle était sous la première. Un corps, sous son vernis. Dépouillement, dégradation. Mouvements souples, désuets, des bras vers le « paradis ». Retournée vers le regard avide de la salle, la comédienne explose. Au langage éthéré fait place une langue grossière. La douleur retournée en rage. Pluie d’insultes. Nouvelle dégradation. Les drones sonores de Scott Gibbons déclenchent leur orage dans la nuit. En un éclair, le chant du cygne a mué en chant du bouc, la mélodie en ricanement animal, un monstre dionysiaque a défié le public, la douleur, la solitude et la mort.