Boris Charmatz La Ronde

[Danse]

En raison des conditions sanitaires, nous n'avons malheureusement pas pu accueillir de public dans le Grand Palais pour La Ronde le 16 janvier. Mais le spectacle a été filmé, et a fait l’objet d’une diffusion sur France 5, le 12 mars à 20h50, accompagnée d’un documentaire sur la conception du projet, qui a connu de nombreux rebondissements du fait de la pandémie. Happening Tempête est reporté les 12 et 13 juin 2021 dans le Grand Palais éphémère sur le Champ de Mars, où nous aurons le plaisir de vous accueillir.
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Pour l’événement qui célébrera le Grand Palais avant ses travaux de restauration, Boris Charmatz a imaginé La Ronde inspirée de celle d’Arthur Schnitzler.
Comment investir le Grand Palais, cette cathédrale profane bâtie pour l’exposition universelle comme un « Monument consacré par la République à la gloire de l’art français » ?

"Le Grand Palais est une cathédrale de la république. Même déserté au printemps de toutes ses activités, le lieu vide parlait encore. Il continue à résonner de sa longue histoire. Il me semble être un écrin gigantesque aux désirs les plus intimes. Comme on ne peut passer abruptement du confinement à la foule, j’ai imaginé une ronde, La Ronde. Arthur Schnitzler a écrit ce texte extraordinaire de couples enchaînés les uns aux autres au moment où se construisait le Grand Palais. En 1900, le lieu ouvre alors que Schnitzler publie à compte d’auteur son œuvre qui fera scandale, en raison de la thématique sexuelle... ou de la judaïté de l’auteur.
Fermeture autour de la figure du duo, et ouverture infinie de la chaîne qui déplace les corps, les transperce. Schnitzler dit crûment amour et sexe des personnages sociaux (la comédienne, le soldat, la prostituée, le comte...). Il invente un protocole du désir perméable, passé et transmis à l’autre, parfois dans la tension, dans l’absence de concordance. La dramaturgie de ce livre est déjà une danse où les couples jamais ne se referment mais toujours rencontrent l’autre. Le Grand Palais est démesuré, il est difficile d’imaginer là une demi-mesure. Soit on peut y déclencher une tempête avec 6 000 personnes en présence, soit le considérer comme un écrin et y déposer délicatement un joyau prosaïque : une chaîne infinie de duos dansants, chantants, parlants. Les corps bougent, se heurtent, s’embrassent, se quittent et pourtant restent, se lient dans l’espace mental, s’ancrent pour maintenir une continuité du vivant et du désir.
J’imagine une série de couples enchâssés, un paysage de duo dansants, parlants, chantants, avec des artistes hors normes, qui se suspendent au temps pour entretenir ce foyer plusieurs heures durant. Des morceaux iconiques sortis de l’Histoire (de Don Quichotte à Dirty Dancing en passant par Anne Teresa De Keersmaeker), des duos inventés pour l’occasion, des extraits de Schnitzler, des artistes qui ouvrent les sens et entraînent les visiteurs. Un événement dont la durée sera embrassée par tous, interprètes et public, dans un doux et long embrasement chorégraphique partagé.
Puis, avec le jour nouveau, le public sera invité à rejoindre un collectif de corps dans une tempête de gestes -isolés-. Un échauffement XXL. Un gigantesque atelier pour tous. Une performance fugace, avant la clôture pour travaux. Quand même. Une explosion d’amour pour la clôture du Grand Palais."

Boris Charmatz, juin 2020