Gérard Pesson

[Musique]

« Être éveillé encore pendant que le maître dort. » Par ces mots, Gérard Pesson définit la transcription. Ciselant l’ironie et la distance d’avec l’original, il redonne vie, non sans mélancolie, aux contrées imaginaires de Ravel, Scriabine ou Mahler. L’écoute s’en trouve modifiée, illusoirement suspendue par une mémoire tout à la fois oublieuse et créatrice.

Chœurs de vivants et de morts, les transcriptions de Gérard Pesson sont autant d’exercices d’admiration : Ravel, le frère « frêle, mystérieux, pudique et grinçant » ; Scriabine, dont le piano, incandescent, sinon halluciné, en appelle au verbe, celui de Constantin Balmont ou d’Ossip Mandelstam dont Pesson sertit ses chants ; Mahler, dont l’Adagietto de la Cinquième Symphonie se pare de vers d’August von Platen ; dans les Chants populaires, les poèmes de Philippe Beck se déduisent analogiquement des contes des frères Grimm, en perpétuent les jeux suaves et cruels ; et jusqu’à une œuvre en création, thrène en hommage à un ami trop tôt disparu. Entre ces pièces pour chœur, dont Pesson entend rompre l’onctuosité immédiate, le timbre doucereux de ses voix, s’immiscent quelques pièces instrumentales scandant le concert : un prélude non mesuré pour piano, en hommage au compositeur et claveciniste Froberger ; deux pièces brèves, à nu, pour violoncelle, comme un archipel de sons pour le soir ; et la Catch Sonata, transcrivant non de la musique, mais le Fort-Da du jeu de la bobine décrit par Freud, la saisie d’une idée qui se refuse, dans le silence, l’éloignement ou la blancheur de l’effacement.