Entretien avec Maria Hassabi – On stage

 

En 2016 vous créez STAGED? pour les théâtres, puis l’année suivante STAGING, son pendant pour les espaces d’expositions, aujourd’hui On Stage. Au-delà de leurs titres, ces trois œuvres de votre parcours ont-elles une connexion particulière ?


Maria Hassabi : Pas plus que le fait que j’en suis l’autrice. J’utilise souvent des titres qui font référence à des termes liés aux lieux où l’œuvre sera présentée. On Stage était le juste titre pour cette pièce, car il s’agit d’un solo conçu pour la scène et plus précisément pour le proscenium. Mes œuvres ont tendance à avoir un fort aspect d’installations, et dans ce cas, l’installation c’est l’espace même de la scène dans sa forme classique avec une avancée. Très peu de lieux qui présentent des œuvres performatives contemporaines sont pourvues de ce type de plateau et pourtant, il s’agit de la configuration idéale pour ce solo.

Le désir d’investir cet espace du proscenium vous vient d’ailleurs du film Opening Night de 1977, n’est-ce pas ?


J’ai été inspirée par une courte scène d’ouverture du film où l’on voit une image fixe de l’actrice Gena Rowlands dans une pose très théâtralisée, devant un public. J’ai vu ce film il y a longtemps, et pourtant, il a continué de résonner en moi. Je voulais alors explorer le territoire de « l’interprète », dans mon propre style bien sûr, et pour ce faire, j’avais besoin du proscenium. Le reste du film, même si je l’adore, n’a rien à voir avec On Stage. Lorsque j’ai commencé la création, j’ai anticipé le fait que de nombreuses personnes pourraient quitter la salle pendant le spectacle, en raison de son approche minimaliste et de sa proposition paradoxale : une grande scène, vide, avec peu d’action. C’est pourtant le but de l’œuvre : mettre au défi nos attentes.

 

Vous êtes donc très proche du public et de ses attitudes. Comment vivez-vous cela de l’intérieur ? 

 

En tant que performeuse ou performeur, nous avons tendance à être très sensibles aux réactions du public et aux nôtres. On a l’impression qu’une autre dimension s’ouvre lors de cet échange. Étant donné que ce travail est très silencieux, il exige une concentration intense et une grande attention aux détails. Cela crée un espace à la fois puissant et vulnérable, une dualité qui m’attire énormément.

 

Vous dites que ce solo est l’un des plus personnels que vous ayez écrit. Pourquoi ?

 

Tous mes travaux sont personnels et celui-ci, étant un solo, peut sembler encore plus direct. On Stage est l’aboutissement de nombreuses années de recherche qui sont devenues pour moi une identité. J’ai commencé à développer ce style de travail en 2009 avec un diptyque intitulé Solo et SoloShow. Alors qu’en 2009 je copiais des centaines d’images et trouvais un moyen de les rendre vivantes, aujourd'hui il n’est plus nécessaire de les reproduire. Il s’agit d’un vocabulaire qui m’est lié, c’est ce que je fais. Ainsi, ce solo est basé sur cette accumulation de connaissances et sur ma philosophie générale de travail. Ce que je trouve très puissant dans l’utilisation d’images iconiques dans le spectacle vivant, c’est qu’elles créent un terrain d’interprétation commun pour les spectateurs. Les images peuvent être reconnaissables et, en fonction des expériences personnelles de chaque spectateur, elles peuvent éveiller des souvenirs différents. Par ailleurs, nous pouvons percevoir la profondeur émotionnelle et l’effort qui existe derrière chaque image. Ceci est intrinsèquement lié au concept de vivacité : en fin de compte, ce sont des représentations « jouées ».

 

Comment la musique, que vous avez composé avec Stavros Gasparatos, participe à cadrer l’attention ?

 

Il s’agit d’un environnement sonore qui incorpore des éléments liés aux concepts de l’œuvre. L’intention première était de créer une sorte de « coussin » acoustique confortable, en ayant en tête que ce que je demande au public pourrait être quelque peu difficile. En outre, notre approche du son reflète mon processus chorégraphique. Nous utilisons de longs fondus que nous traitons méticuleusement. Cela déforme le matériel original jusqu’à ce qu’il devienne méconnaissable. Cette manière approfondie de travailler sur les fondus se retrouve également dans la conception de l’éclairage de mes œuvres scéniques. Et, ce processus est également présent lorsque je réalise des peintures, des photographies et des sculptures. Mes principes chorégraphiques se transfèrent sur tous les supports sur lesquels je travaille. Les fondus sont alors reflétés par une image qui est étirée jusqu’à ce qu’elle soit pixélisée ou floue et donc à nouveau déformée, échappant à ses origines.

 

La lenteur et le ralenti vous accompagnent depuis vos débuts ou presque. C’est ici un outil qui permet aux images de se déposer sur nos rétines. Que découvrez-vous encore dans cette immobilité après tant d’années à la pratiquer ?

 

Je ne fais pas de slow motion ! Pour moi, le slow motion donne l’impression d’une machine en panne qui lutte pour fonctionner. Au contraire, la lenteur dans mon travail est un choix délibéré qui renforce la vitalité et la présence. C’est un outil qui permet aux interprètes de rester engagés à chaque seconde qui passe, en connectant leur corps au temps, à l’espace et à la projection. Comprendre et incarner cela demande du temps, de la conscience, et, en raison de sa richesse, continue de me captiver depuis toutes ces années.

 

Propos recueillis par Léa Poiré, mars 2025.