Giorgio Strehler / Carlo Goldoni Le Baruffe Chiozzotte

Barouf à Chioggia

[Théâtre]

Dans une histoire simple, réelle, possible, concrète, avec une rigoureuse unité de temps (l'espace d'une journée au début de l'automne), et avec une unité de lieu tout aussi évidente (Chioggia, ville de pécheurs de l'Adriatique où vivent quarante mille âmes, dont "trente mille" sont des femmes), Goldoni nous présente une histoire qui parle essentiellement d'amour et de tout ce que l'amour comporte de contrastant, de difficile et même d'ambigu, et qui constitue, au-delà du temps, une interrogation sur la condition et le destin des "sujets", ceux qui culturellement parlant, ne savent pratiquement rien, ou si peu, ceux qui vivent et travaillent dur, mais qui connaissent certaines lois fondamentales du coeur et le bien que leur apporte l'unité profonde de leur communauté. Et surtout ils ignorent la haine et l'autoritarisme. Dans cette comédie de "querelles", de heurts, dans cette comédie agressive et parfois violente, rien n'est là uniquement par "jeu", ni par facilité théâtrale, ni pour faire rire. Chaque chose, même la plus comique, est toujours "pour de vrai". Le mal est le grand inconnu dans les Baruffe chiozzotte, mème si l'on connait bien la difficulté de vivre, et de vivre ensemble, avec les autres et avec soi-même...Alors, la leçon des "Baruffe" a peut-être aussi quelque chose de tragique, parce qu'elle touche au rapport des réalités historiques de chacun de nous vis-à-vis des autres, sans pouvoir le résoudre puisque nous-mêmes, nous ne savons pas comment le résoudre, ce problème de la" vie en commun" des hommes.
A la fin, avec leur incandescence poétique qui ressemble vraiment à la réalité et qui la dépasse constamment, Le Baruffe Chiozzotte sont une métaphore du monde. Cette métaphore que seule la grande poésie, dramatique ou non, peut atteindre et nous offrir. II suffit que nous laissions couler le flot de vitalité enfermé dans le texte de Goldoni -"amable, respectable, cortés"- mais surtout sincère et vrai, et attentif aux merveilles de la vie. Il suffit que nous nous laissions prendre par la main pour assister au spectacle du petit grand rôle de la vie de l'homme sur la terre.

Giorgio Strehler