Jacques Doillon La vengeance d'une femme

[Théâtre]

J'avais envie d'un théâtre-pas théâtre pour ne pas avoir peur. J'étais ravi de ce lieu : cette Manufacture des Oeillets. Des odeurs de fleurs qu'on ne voit plus guère. Un peu comme ces bleuets. Et bien sur, le luxe que je ne connais pas : travailler les scènes à l'avance, et ne pas se jeter dessus comme des sauvages, comme au cinéma. Essayer une nouvelle Vengeance, faire bouger le même texte déjà travaillé dans le bonheur avec Isabelle Huppert et Béatrice Dalle, il y a bientôt dix ans devant la grosse caméra.
Mais sérieusement j'aurais dû réfléchir, ne pas m'emballer : poursuivre le radotage qui évite tous les dangers, qui permet tous les évitements : les comédiens en pied, l'absence de gros plans et de confidences données par ces voix. . .
Non, j'ai dit oui; je me suis entêté. Des oeillères. Vite ! Aux Oeillets ! Pas un instant l'envie de me défiler. Oui ça me plait de voir comment je vais me débrouiller, de reprendre le brouillon une fois encore. Comme tous les grands trouillards, j'ai besoin d'avoir peur. Trouillards qui donnent le début de Troussotzky, qui donnent franchement Dostoïevsky. Parce que cette vengeance s'inspire pas mal de l'Eternel Mari. J'espère qu'on va réussir à ramener un peu du grand homme sur l'absence de scène. Et puis je peux poursuivre les bonnes raisons : la très bonne rencontre avec Eric Danel et avec ce grand atelier dans lequel il m'a fait pénétrer, atelier désarmé, en attente, magnifique. Il faut y remettre du travail. Les ouvrières ont dû y bosser dur, y rêver, se taire et s'engueuler et fredonner.

Jacques Doillon