Christoph Marthaler Meine faire Dame (Un laboratoire de langues)

[Théâtre]

Tout le monde a en mémoire l’adorable Eliza Doolittle campée au cinéma, en 1964, par Audrey Hepburn dans My Fair Lady : cette pauvre fleuriste cockney qui, parce qu’elle veut pouvoir s’exprimer comme une personne distinguée, prend des cours de diction et s’échine à prononcer correctement le virelangue : « The rain in Spain stays mainly in the plain. » À la base du film de George Cukor, un musical éponyme (lui-même adapté de la pièce Pygmalion de George Bernard Shaw) signé de Frederick Loewe (musique) et Alan Jay Lerner (paroles), qui avait fait un triomphe à Broadway. La musique, la langue ; la satire, la mélancolie : tous les ingrédients qui fondent le théâtre drôlement musical de Christoph Marthaler sont ici réunis, et l’on ne s’étonne guère que celui-ci ait toujours eu envie de porter à la scène cette comédie musicale, lui qui n’a cessé, en un sens, de réinventer le genre. Sous-titrée « Un laboratoire de langues », l’adaptation très libre qu’il en propose aujourd’hui (au lendemain de sa mise en scène de la pièce Foi, Amour, Espérance d’Ödön von Horváth) est bien à son image : sensible et incisive, jouissive et décalée. Dans un décor où se côtoient un piano et les boxes anonymes d’un vrai laboratoire de langues, il revisite le chef-d’œuvre de Frederick Loewe avec humour, tendresse, et un art consommé du kitsch. De ce combat entre la langue et la musique, c’est, comme il fallait s’en douter, cette dernière qui sortira victorieuse, s’affirmant comme le meilleur des moyens d’émancipation. Car pour Christoph Marthaler, enfant illégitime et virtuose de Jacques Lecoq, Dario Fo et Pina Bausch, rien ne semble valoir le plaisir de chanter ensemble.