György Ligeti Le Grand Macabre

[Musique]

Librement inspiré de La Balade du Grand Macabre (1934) du dramaturge belge Michel de Ghelderode, l’unique opéra de György Ligeti est un coup de maître, une « farce noire », entre burlesque et tragique. L’éclat de rire, mêlé d’effroi, qu’il provoque, raille une mort en déroute et nous promet un sursis, sinon une vie éternelle, faite de joie et de plaisirs.

Baroque, démoniaque, déclinaison de Dracula, ­Nekrotzar, tsar ou saltimbanque de la mort, annonce la destruction imminente du monde, le Jugement dernier. Mais le glas ne sonnera pas, et le « grand geste d’extermination » sera mis en échec par le vin, qui n’a du sang que la couleur. Ligeti accumule ici les modèles anciens : le carnaval, la farce médiévale, le monde rabelaisien, paillard, sinon obscène, le théâtre de marionnettes, la bande dessinée et ses personnages éructant injures ou diatribes… On y boit, mange, fornique, avec plus ou moins de perversion. Et l’on y craint les sonneries de l’Apocalypse, les squelettes dansants et la faux qui moissonne toute vie. De ce disparate, de ces collages, participent le livret, ses expressions latines fautives et ses citations tronquées de saint Jean, les timbres singuliers de l’orchestre (klaxons, sonnettes, sirènes et autres harmonicas), les allusions et les citations de soi-même, comme de Monteverdi, de Verdi et de Mozart, qui savaient donner vie, par la musique, aux caractères et aux situations. On songe aussi à Bosch ou au porc à moitié découpé et pourtant gambadant dans le Pays de Cocagne de Brueghel. Une catharsis, pour purger les terreurs de l’Histoire et de nos existences.