Bernard Sobel Entre Chien et Loup

[Théâtre]

Aujourd'hui je ne me reconnais pas sur la photo de mariage. Un visage blême, immature, à côté d'un jeune homme en pleine puberté, entourés de parents rayonnants, dont le soulagement et la joie transparaissent bruyamment sur la photo. Deux êtres impuissants, interchangeables jusqu'au port de la tête. Ce n'est que beaucoup plus tard, en observant d'autres photos de mariage, que j'ai découvert, derrière les visages effarés, les anarchistes. Ce sont des révolutionnaires embarrassés, intimidés, mais dans leurs yeux brille immensément quelque chose du bonheur et de l'espoir de toute anarchie. Ils veulent fuir, anéantir, corriger les accablantes circonstances qui sur la photo les encerclent en un groupe exubérant. Et la seule alternative à laquelle ils puissent penser les empêtre irrémédiablement dans les vieux pièges de l'insupportable. Le jour de la révolte est déjà leur fin. On est passé l'air de rien sur les humiliations, sur les ennuyeux insignes de la défaite : contrat, signature, photo de groupe. Bienvenue dans le sein de tous nos hiers, faites vôtre l'innocent étranglement. Et tout sera comme il fut  : en ordre.

Christoph Hein, in Der Fremde Freund, 1983