Jean-Luc Lagarce / Les Possédés / Rodolphe Dana Derniers remords avant l’oubli

[Théâtre]

Les personnages de Jean-Luc Lagarce aiment revenir en arrière, retourner sur leur pas, se retourner sur leur passé. Et la mort prématurée de l’écrivain, acteur, metteur en scène et éditeur (1957-1995) n’incite que davantage à lire ses pièces comme des rétrospectives, comme autant d’exercices du deuil des souvenirs. Derniers remords avant l’oubli est l’évocation d’un amour de jeunesse ayant uni une femme et deux hommes dans une demeure emplie des parfums de l’été. Désormais, le temps de l’inventaire a succédé à celui de l’invention ; Pierre habite seul la maison que ses amis, accompagnés de leurs conjoints, sont venus le convaincre de vendre.
Il est ici question « d’argent, donc de passion(s), donc d’utopie(s), donc d’amour(s) », souligne le jeune metteur en scène Rodolphe Dana, dont c’est la troisième mise en scène, après un Oncle Vania remarqué et, l’an passé, un touchant Pays lointain du même Jean-Luc Lagarce.
Il est question aussi, comme souvent chez Lagarce, d’amours et de souvenirs lessivés, d’histoires de famille(s), de règlements de comptes ; de sentiments hantés, incommunicables.
C’est tout cela qui passe dans la langue, la fameuse et singulière langue de Jean-Luc Lagarce. Ces phrases répétées qui ne sont jamais des ratiocinations, simplement des désirs de traquer les sentiments au plus près, au plus juste – plutôt se taire que se trahir.
Des sentiments auxquels la parole pourrait redonner tout leur poids si seulement la pensée pouvait lui en laisser le temps, se décider à la suivre, et si seulement la parole était réellement capable d’une telle précision chirurgicale. Les mots de Lagarce sont frères des fêlures et des échecs, ce sont eux qui créent l’atmosphère sombre, étoufante et pourtant tellement lumineuse qui nimbe son théâtre. Pour évoquer cette recherche du temps perdu, Rodolphe Dana cite justement Proust : « On ne guérit d’une douleur qu’à condition de la vivre pleinement. »
Et ajoute : « Cette phrase s’applique aussi à l’amour. Et chez Lagarce, ces deux versions résonnent. »