Incantations du Chiapas / Polyphonies de Durango Musique - Mexique

[Musique]

Riche de ses langues et de ses traditions, le Mexique est un creuset de cultures, un captivant limon accumulé dès avant la colonisation et, depuis le XVIIe siècle, à la faveur de riches échanges maritimes avec les continents.
À l’Est, les navires marchands, qui sillonnaient la mer des Caraïbes depuis l’Afrique, les Canaries et la péninsule ibérique, accostaient à Veracruz. À l’Ouest, des galions, dont le célèbre Nao de China, assuraient la liaison entre la Chine, les Philippines et Acapulco, où l’on débarquait les trésors de l’Orient convoités par les Espagnols.
Plus au Nord, l’État de Durango, avec ses plateaux protégés par des montagnes, et malgré son climat presque désertique, fut aussi, tardivement, terre d’échanges, passage obligé sur la route de Mexico. Les journaliers des exploitations de coton donnèrent naissance à un art polyphonique, la canción cardenche, qui doit son nom à une plante (cardo) dont les épines pénètrent profondément la chair et qu’il est douloureux de retirer. Ces polyphonies
intenses, lyriques, sinon dramatiques, à trois voix qui se croisent et s’harmonisent, mais que chantent quatre hommes (l’une des voix est doublée), ne sont pas exemptes d’éléments stylisés issus de la musique baroque européenne et de lointains souvenirs des hymnes sacrés qu’entonnèrent jadis les missionnaires. A cappella, au terme d’une journée de travail, ces chansons d’amour, de louange, de solitude, de larmes et d’adieux, transmises oralement ou sur de rustiques cahiers désormais perdus, disent le désir d’un regard, d’un sourire ou d’une bouche mignonne, l’ingrate abandonnant son amant et l’oubli au fond d’un verre de sotol
Au Sud, dans l’État du Chiapas, à San Cristobal de Las Casas, des femmes mayas perpétuent les gestes et les symboles de ce que des anthropologues nomment le Mexique profond, celui d’avant la colonisation espagnole, là où l’homme s’inscrit dans la nature et ses cycles. Dans la fumée, derrière des cierges et de longues aiguilles de pins à même le sol, ces chanteuses, chamanes, guérisseuses par d’obscurs et savants dosages d’herbes, dépositaires respectées de traditions ancestrales, se livrent à des comptines, à des incantations, à des rituels et à une poésie, que leur langue tzotzil traduit par « mot en fleur ». Leur voix, spirituelle, y évoque la montagne, les sources, la lune, le vent qui brise le maïs, ainsi que la vie, rude, et la relation aux mânes.