Luigi Nono Prometeo, tragedia dell’ascolto

[Musique]

Prometeo de Luigi Nono est une expérience inouïe de l’écoute.
Somme de sons et de mythes, bibliothèque imaginaire de dieux et de titans, l’œuvre est un théâtre de notre mémoire, des noms de héros qui la peuplent et des cartes que nous en avons tracées : des strates d’instants musicaux suspendus, gorgés de silences, qui se prolongent l’un l’autre ou s’interrompent à l’occasion.
Luigi Nono emprunte le mythe de Prométhée à Eschyle et le dépouille de tout élément narratif. Le texte, dans certaines sections, n’est plus que trace sur la partition, comme un chant muet, destiné au sentiment le plus intérieur des interprètes. Et Prometeo ne donne rien à voir, n’est en rien un opéra, au sens classique, malgré la diversité des forces vocales, instrumentales et électroniques convoquées. C’est au son entièrement, à ses murmures et à ses déflagrations, qu’est dévolue la fonction de la représentation. « Tragédie de l’écoute » est son sous-titre.
Commencé au milieu des années 1970, alors que les idéologies se fissurent déjà à l’épreuve du pouvoir et des échecs révolutionnaires à travers le monde, achevé presque dix ans plus tard, Prometeo est conçu non en scènes, mais en îles et en stasima (ces moments de chœur de la tragédie antique). Comme un itinéraire à travers un archipel riche de traversées possibles. Chaque île livre le Titan à un thème : ses dons ; les prophéties délivrées à Io, aimée de Zeus qui la transforma en génisse pour la soustraire à la jalousie d’Héra ; les travaux et les jours, quand le dieu n’est plus ou qu’il s’est retiré dans un désert ; la loi et la norme ; l’ange…
Prometeo devient ainsi, peu à peu, patiemment, l’exégèse d’un mythe, où le nom de celui qui défia l’Olympe est tenu de recueillir d’autres figures de la culture européenne. Prométhée y est Prométhée, mais aussi Ulysse, Achille et Moïse.