Emmanuelle Huynh Nuée

[Danse]

Vingt-cinq ans après Múa, pièce inaugurale travaillant à la frontière de l’obscurité, Emmanuelle Huynh remet sur l’ouvrage la question de son rapport au Vietnam dans un solo où la lumière, la musique, la langue et le corps dialoguent pour formuler un paysage mémoriel et intime, traversé par une adresse multiple.

À partir d’images et de questions enroulées autour du nom de son père (Huynh Thanh Vân, Nuage bleu), Emmanuelle Huynh a mené une enquête, à la recherche des lignes de force qui structurent son corps de danseuse. Entre le Vietnam et la France, elle trace un fin liseré, qu’elle parcourt en cherchant à comprendre les cheminements, les points d’ancrages, les nœuds – tout en adressant ses gestes à la multitude de voix et de corps qui la constituent. Nuée dessine ainsi une carte où circulent des énergies, des réminiscences, où s’articulent des phrases – dans la bouche, les membres, la peau. À la jonction du corps et du plateau s’invente un territoire hybride – comme le « dépays » cher à Chris Marker. Sculpté par la lumière et le brouillard, le corps d’Emmanuelle Huynh effectue une compression d’états, de symboles, comme autant d’idéogrammes physiques malaxés par la mémoire. Faisant sien le concept de « destinerrance », élaboré par Jacques Derrida pour décrire la destination incertaine de toute adresse, elle disperse des traces, transmet des signes, et éparpille une « image de soi » en un archipel d’altérités.