Klaus Michael Grüber König Lear

[Théâtre]

Le goût du néant
Morne, esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher ! couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied a chaque obstacle butte.
Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute,
Esprit vaincu, fourbu ; pour toi, vieux maraudeur ;
L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute ;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de flûte!
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!
Le printemps adorable a perdu son odeur ;
Et le temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur ;
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute,
Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute ?

Charles Baudelaire