Merce Cunningham Neighbours / Trackers / Beach Birds...

[Danse]

Création et répertoire
Trackers, manifeste l'inlassable curiosité de Merce Cunningham pour les nouvelles technologies. Il y utilisé un système d'animation informatique tridimensionnel, ravi des
troublantes et infinies possibilités de composition qu'il lui offre. Au milieu des danseurs, un genou en terre mais les bras vifs et les mains en alerte ou encore empoignant une barre de travail, Merce indique la piste à suivre : agir, chercher encore.
Neighbors met en scène trois couples de voisins, "probablement de la banlieue", dans une scénographie et des costumes de Mark Lancaster, qui s'inspire ici des peintures qu'il exposa à Londres en 1990. Entre costumes et décors, couleurs et lumières, se glisse une volontaire ambiguïté, un scintillement de la perception avivée par d'incessantes variations d'intensités et de nuances. Beach Birds dévoile "entre rivière et océan" des oiseaux sur la grève. Noirs et blancs, les danseurs ont de délicats et brusques mouvements d'ailes, des écarts impromptus, de brefs bruissements, toute la tranquillité et la justesse des animaux entre eux. On le sait, Merce Cunningham aime observer la nature. Ce n'est pas pour autant que la scène devient réaliste. On retrouve plutôt l'acuité et l'étrangeté de ces mouvements "tout faits" et prélevés dans le monde (un écho aux "founded objects" de Marcel Duchamp), toujours imprévisiblement combinés. John Cage, de son côté, laisse couler entre deux pianos et des bambous géants une finesse extrême, friselis de graviers et de sable, rares notes égrenées en écho. Sur fond de ciel monochrome, Beach Birds ouvre tout l'espace et le temps de la scène au "silence" musical et à l'entre-deux chorégraphique.
La création mondiale pour célébrer le vingtième anniversaire du Festival d'Automne et la septième saison de la compagnie au Théâtre de la Ville sera bien sûr un événement. Comme le sera la reprise d'Exchange, une très belle pièce datant de 1978, où la musique de David Tudor et le décor de Jasper Johns contribuent à déployer sur scène une intense synergie, plutôt sombre. C'est Jasper Johns, rappelons-le, qui adapta pour la compagnie le Grand Verre de Marcel Duchamp, qui signa nombre de scénographies et d'affiches et qui amena par la suite Frank Stella, Robert Morris ou Andy Warhol à collaborer avec la compagnie.
Un dernier mot pour les danseurs, dont on ne dira jamais assez qu'ils sont aussi la sève du chorégraphe qui les regarde évoluer, et évolue. Pour Exchange, il a donné son propre rôle à Alan Good.
Christine Rodés